◼️ Rupture du contrat domestique …
Il y a environ 8 000 ans, au moyen-orient, l’homme a domestiqué le mouflon, créant ainsi le mouton.
La domestication consiste à modifier les caractéristiques d’une espèce sauvage au profit de l’homme au point de créer de nouvelles (sous)espèces, dites domestiques, comme le chien issu du loup ou le mouton issu du mouflon.
A la différence de l’évolution naturelle qui sélectionne les individus les plus adaptés à l’environnement parmi des variations apparaissant au hasard, la domestication est une forme d’évolution orientée selon les besoins et les désirs des hommes, consistant à sélectionner à chaque génération et à faire se reproduire les individus les plus performants.
La domestication se fait toujours en optimisant certaines capacités au détriment d’autres qui pouvaient être essentielles à la vie en milieu naturel. En les affranchissant de contraintes et exigences de la vie sauvage les animaux domestiques peuvent (mais ont-ils le choix ?) se concentrer sur ce pour quoi on les domestique.
Par exemple, l’énergie économisée en n’ayant plus à rechercher de nourriture, à résister à des hivers rigoureux, ou à échapper aux prédateurs sera disponible pour produire plus de petits, de viande, de laine, d’œufs … ou de travail. Il en est ainsi pour les animaux de rente, de travail (trait …), de protection, de garde … et même de compagnie.
Il y a donc bien une forme de « contrat domestique », que l’homme a imposé aux animaux. En ce qui concerne le mouton, on peut le résumer ainsi : les soins, la nourriture et la protection en échange de laine, de lait, d’agneaux et de viande. Les moutons sont plus performants que les mouflons dans ces fonctions de production, mais ils sont devenus dépendants de l’homme et ne peuvent plus vivre de manière autonome en milieu naturel.
Jusqu’il y a quelques dizaines d’années, les fonctions premières du troupeau ovin familial dans les Pyrénées était de produire de la laine, de la fumure pour les parcelles proches, des agneaux commercialisables selon les besoins de trésorerie de la maison, et du lait à transformer éventuellement en fromages pour le conserver ou le vendre. La production de viande était marginale, les moutons ayant beaucoup plus essentiel à fournir, et on mangeait rarement de la viande domestique. Le troupeau était parmi les biens les plus précieux de la maison et il n’était pas imaginable de le laisser si peu que ce soit sans soins ou sans protection. C’est encore le cas dans de nombreuses régions du monde.
L’évolution socioéconomique récente, notamment la baisse de la main d’œuvre sur les exploitations et la raréfaction des prédateurs, a conduit les propriétaires des troupeaux à en réduire le gardiennage en Pyrénées centrales, en particulier l’été en montagne. Mais livrer des animaux domestiques à eux-mêmes dans un milieu montagnard risqué n’est pas sans conséquences et le retour récent du prédateur occasionnel qu’est l’ours n’a fait que révéler cette incohérence.
Si les troupeaux trouvent l’été en montagne une nourriture abondante et de qualité, l’absence des soins quotidiens et de la protection continue dont ils ont besoin sont à l’origine d’une mortalité significative, dont les principales causes sont les chutes et les maladies (infections, parasites, asticots …). Le système agropastoral moderne a intégré ces pertes dites naturelles, jamais comptabilisées, toujours minimisées, et finalement compensées par des aides publiques.
Si l’on se réfère aux bases exposées plus haut, il y a bien une rupture du contrat domestique. Ne plus ou moins assurer les soins et/ou la protection d’une espèce qui en dépend parce que nous l’avons créée ainsi est incohérent et personne ne doit s’étonner des problèmes que cela pose. Dans ce système dysfonctionnel, l’ours qui est responsable d’une part marginale de la mortalité, est l’arbre qui cache la forêt.
Le propos n’est pas ici de montrer quiconque du doigt. Les éleveurs sont les victimes de la politique agricole des dernières décennies et subissent sans autre choix possible un système qui n’est ni viable, ni vivable, ni durable, et qui ne perdure que grâce aux soutiens publics.
Notre engagement en faveur du retour de l’ours implique d’analyser toutes les facettes de cette problématique afin de contribuer à la recherche de solutions adaptées, sans se focaliser sur le chiffon rouge que certains agitent à dessein sous nos yeux et ceux des médias.
Le retour de l’ours, avec les contraintes qu’il induit mais aussi les opportunités qu’il ouvre, fait partie de l’équation pour construire l’avenir des Pyrénées. Nous devons être capables d’y travailler collectivement, sereinement et sérieusement, afin de ne pas rester dans l’impasse de la polémique actuelle dans laquelle certains cherchent à nous cantonner.