◼️ Le retour de l’ours remis en cause juridiquement ?

Les opposants ariégeois au retour de l’ours affirment avoir trouvé des failles juridiques remettant en cause le retour de l’ours dans les Pyrénées.
Ils ont pour cela consulté Bertrand Faure, professeur de droit à l’université de Nantes, spécialiste du droit des collectivités territoriales, mais qui semble n’avoir toutefois jamais travaillé sur le droit de l’environnement, et encore moins sur le dossier spécifique du retour de l’ours dans les Pyrénées.
Selon une relecture de la directive européenne « Habitats », notamment de l’article 22, la France n’aurait aucune obligation de restaurer la population d’ours et les populations concernées n’ont pas été consultées.
Nous avons donc repris les différents jugements sur ces questions et recueilli la réaction d’un (vrai) spécialiste du dossier.

Suite aux premiers lâchers d’ours en 1996-97, les opposants avaient saisi le Conseil d’État, notamment en invoquant l’article 22 de la directive et l’absence de consultation du public. Voilà l’extrait du jugement rendu par le Conseil d’État le 20 avril 2005 :

« … les lâchers d’ours ont été précédés par des études scientifiques antérieures à la décision du 24 janvier 1995 et par la consultation, de 1994 à 1996, d’une part, de l’ensemble des élus et non des seuls élus des communes signataires de la charte mentionnée ci-dessus, d’autre part, d’une large partie des populations elles-mêmes, par la voie de nombreuses réunions d’information et de concertation ; qu’il suit de là que le moyen tiré de ce que la décision dont le maintien est contesté aurait méconnu les objectifs de la directive Habitats doit être écarté … »

Non-satisfaits, les opposants à l’ours ont de nouveau saisi les tribunaux suite aux lâchers d’ours réalisés en 2006, une nouvelle fois en invoquant le fameux article 22. Voilà la réponse du Conseil d’État, en date du 23 février 2009 :

« Considérant que les requérants soutiennent que la décision n’aurait pas été précédée d’une évaluation appropriée, en méconnaissance de l’article 22 de la directive 92/43/CEE, du Conseil, du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages ainsi que de l’article L. 411-3 du code de l’environnement ;
Considérant qu’aux termes de l’article 22 de la directive du 21 mai 1992 : « Dans la mise en application des dispositions de la présente directive, les États membres : / a) étudient l’opportunité de réintroduire des espèces de l’annexe IV, indigènes à leur territoire, lorsque cette mesure est susceptible de contribuer à leur conservation, à condition qu’il soit établi par une enquête, tenant également compte des expériences des autres États membres ou d’autres parties concernées, qu’une telle réintroduction contribue de manière efficace à rétablir ces espèces dans un état de conserva don favorable et n’ait lieu qu’après consultation appropriée du public concerné (…) » ; qu’en vertu du b) du même article, l’introduction intentionnelle dans la nature d’une espèce non indigène à leur territoire est précédée d’une évaluation puis fait l’objet d’une réglementation stricte ; qu’au nombre des espèces animales et végétales d’intérêt communautaire qui nécessitent une protection stricte, énumérées à l’annexe IV de la directive, figure l’« Ursus arctos » ;
Considérant que les ours Slovènes et les ours pyrénéens appartiennent à la même espèce « Ursus arctos » ; que, dès lors, contrairement à ce qui est soutenu, sont seules en cause les dispositions du a) de l’article 22, relatives à la réintroduction d’espèces indigènes ; que, pour les mêmes raisons, les requérants ne sauraient se prévaloir des dispositions de l’article L. 411-3 du code de l’environnement, relatives à l’introduction d’espèces animales non indigènes au territoire d’introduction ;
Considérant qu’il ressort du contenu même du plan de réintroduction de l’ours dans les Pyrénées que celui-ci a été précédé d’études relatives aux expériences menées dans d’autres États européens et qu’une évaluation approfondie des conséquences de cette réintroduction a été réalisée; que, par suite et en tout état de cause, le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 22 de la directive ne peut qu’être écarté ; »

Pour faire bonne mesure, les lâchers en 2018 des deux femelles en Béarn ont également été contestés, notamment et encore une fois au titre du non-respect prétendu du même article 22, ils ont été intégralement déboutés une nouvelle fois, cette fois par le tribunal administratif de Paris, le 4 mars 2021.

S’agissant de l’obligation de restaurer la population d’ours dans les Pyrénées, le Tribunal administratif de Toulouse s’est prononcé le 6 mars 2018 sur une interpellation de Pays de l’Ours – Adet et Ferus, rendant là aussi un jugement très clair :

« … les actions mises en œuvre par l’État ne peuvent pas être regardées comme suffisantes au regard des enjeux identifiés pour le maintien durable de l’espèce ursine dans le massif pyrénéen ; les associations requérantes sont, par suite, fondées à soutenir que la France ne satisfait pas à son obligation de rétablissement de l’ours brun dans un état de conservation favorable, telle qu’elle résulte de l’article 2 de la directive du 21 mai 1992 ; la carence des autorités nationales face à cette obligation constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l’État ; « 

Pour Julien Bétaille, Docteur en droit de l’environnement, Maître de conférences à l’Université Toulouse 1 Capitole, responsable du Master « Droit de l’Environnement », il faut faire une lecture globale de la Directive, en intégrant la jurisprudence.
Il avait synthétisé son analyse à la veille des derniers lâchers d’ours en 2018 dans un article intitulé « Réintroduction d’ours dans les Pyrénées, pourquoi ne peut-on pas reculer » et dans un dossier beaucoup plus complet et détaillé (mais en anglais) accessible sur son blog, disponible en cliquant ici

Les arguments juridiques des opposants à l’ours n’ont donc pas changé depuis 25 ans. Ils ont été contredits par les tribunaux de manière constante, ce qui a permis de constituer une jurisprudence solide qui nous permet d’envisager l’avenir sereinement.

Pour aller plus loin :

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